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Description
Sujets
Informations
Publié par | Odile Jacob |
Date de parution | 31 août 2022 |
Nombre de lectures | 1 |
EAN13 | 9782415001803 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,1100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Titre original : The Consciousness Instinct. Unraveling the mystery of how the brain makes the mind , paru chez Farrar, Straus and Giroux, New York, © 2018 by Michael S. Gazzaniga. All rights reserved.
Pour la traduction française :
© O DILE J ACOB , SEPTEMBRE 2022
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-4150-0180-3
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Pour Leonardo, une conscience qui se déploie sous mes yeux.
Avant-propos
Essayez d’imaginer : vous n’êtes conscient que d’un unique instant, l’instant présent.
Cet instant existe sans passé ni avenir. Imaginez à présent la vie comme une série de ces instants, chacun d’eux restant en quelque sorte isolé de tous les autres instants, sans la liaison du temps subjectif. Un peu comme si vous étiez momentanément figé dans chacun de ces instants qui ensemble constituent notre vie normale. Si nous peinons tant à imaginer ce scénario, c’est parce que notre esprit fait des allers-retours dans le temps avec la fluidité d’une ballerine dans Casse-Noisette . Un instant est pour nous le point de départ de la prochaine action que nous prévoyons de faire, elle-même à son tour mesurée dans son présent à l’aune de nos expériences passées. Il nous est difficile d’imaginer qu’il puisse jamais en aller autrement. Il suffit pourtant d’un coup bien placé sur le crâne pour que, tout en restant vous-même, et tout à fait capable d’appréhender l’idée d’avoir un passé et un avenir, vous ne soyez plus capable de vous situer dans votre propre passé ou votre propre avenir. Bizarre, même si c’est vrai. Ni passé ni avenir, rien que le présent.
Dans ces pages, je serai votre guide pour un voyage à travers un monde où des altérations à peine imaginables de ce que nous appelons l’expérience consciente sont monnaie courante. Dans le service de neurologie de tout hôpital, on trouve toutes sortes d’altérations de l’expérience consciente normale. Chacun de ces cas cliniques nous renseigne sur la façon dont notre cerveau se structure pour produire notre chère conscience, instant après instant. Chaque exemple de telles altérations est comme un appel à notre compréhension : il s’agit de nous en servir pour en déduire un scénario cohérent de la façon dont notre cerveau échafaude et produit la joie quotidienne d’être conscients. On pouvait autrefois se contenter de faire le récit de ces phénomènes bizarres. Aujourd’hui, au XXI e siècle, la simple description de toute la panoplie de ces troubles intrigants, de ces désordres, ne nous suffit plus. À travers ce livre, mon but est d’aller de l’avant sur le problème de la conscience et de mettre en lumière comment notre cerveau merveilleusement évolué est structuré pour opérer sa magie. En quelques mots, je souhaite examiner comment la matière produit l’esprit.
Il y a quelques années, un séjour professionnel m’a amené à franchir la douane à l’aéroport londonien de Heathrow. L’agent qui contrôlait les passeports, un fonctionnaire britannique aux aguets, m’a consciencieusement demandé mon nom et la raison de ma venue au Royaume-Uni. Je lui ai répondu que je menais des recherches sur le cerveau et que je me rendais à une réunion à Oxford. Il m’a alors demandé si j’avais connaissance des fonctions distinctes attachées aux deux hémisphères, droit et gauche, du cerveau. Non sans une certaine fierté, je lui ai confié que non seulement j’en avais entendu parler, mais que j’étais même en partie l’auteur de ces travaux. Tout en scrutant mon passeport, il m’a interrogé sur l’objet de la réunion, et je lui ai répondu avec un air d’autorité qu’elle portait sur la conscience. L’agent a refermé mon passeport et, tout en me le tendant, m’a demandé : « N’avez-vous jamais songé à jeter l’éponge tant que vous faites la course en tête ? »
Il semble que cette idée ne m’ait jamais traversé l’esprit. Certains d’entre nous sont naturellement enclins à l’imprudence dans leur désir de s’interroger sur leur nature. Les travaux que je mène depuis soixante ans dans le domaine des sciences de l’esprit et du cerveau me font prendre douloureusement conscience que nous, les humains, n’avons pas encore saisi le problème dans toute sa dimension. Pourtant, il est dans notre nature de penser à qui nous sommes (ou à ce que nous sommes) et à ce que signifie être conscient. Une fois notre curiosité piquée par la question, nous passons notre vie rongés par le désir d’une réponse ; mais, lorsque nous essayons de nous emparer du problème de la conscience, il semble s’effilocher en un vague brouillard. Pourquoi la quête pour comprendre la conscience a-t-elle toujours été si difficile ? Est-ce la persistance des idées du passé qui nous empêche de voir ce qui se produit ? La conscience n’est-elle rien de plus que ce que fait le cerveau ? Tout comme une montre à gousset avec tous ses rouages nous donne l’heure, est-ce tout simplement le cerveau avec tous ses neurones qui nous donne la conscience ? L’histoire du sujet est immense, traversée par un mouvement de balancier entre les purs mécanistes et les espoirs des mentalistes. Étonnamment, vingt-cinq siècles d’histoire humaine n’ont pas permis de trancher cette question, pas plus qu’ils n’ont enseigné à notre espèce comment articuler une compréhension de notre expérience personnelle de la conscience. De fait, le noyau de nos idées n’a pas tellement changé. Si la réflexion explicite sur la conscience a été lancée par Descartes il y a presque quatre cents ans, deux notions primordiales et contradictoires – d’une part que l’esprit fait partie du fonctionnement du cerveau, d’autre part qu’il fonctionne d’une manière ou d’une autre indépendamment du cerveau – coexistent apparemment depuis toujours. Ces deux courants, au vrai, sont toujours bien présents.
Ces dernières années, la question de la conscience est redevenue d’une actualité brûlante. Dans le même temps, et en dépit de l’avalanche récente de nouvelles données, il n’existe guère (sinon pas du tout) d’hypothèses communément admises sur la façon dont le cerveau construit un esprit, ainsi que l’expérience consciente qui en est inséparable. L’objectif de ce livre est donc de sortir de l’impasse et de présenter une vision nouvelle de la façon dont il est possible de conceptualiser la conscience. Nous trouverons sur notre chemin des connaissances issues non seulement de la neurologie, mais aussi de la biologie de l’évolution et de la biologie théorique, de l’ingénierie et de la physique, sans oublier, évidemment, la psychologie et la philosophie. Personne du moins n’a prétendu qu’une telle recherche serait chose aisée. L’objectif, cependant, à savoir de mieux comprendre par quel tour de passe-passe la nature parvient à transformer les neurones en esprit, n’est pas hors d’atteinte. Attention, ça décoiffe !
Pour le dire simplement, je suis convaincu que la conscience est un instinct. De nombreux organismes, pas seulement les êtres humains, en disposent : elle leur vient naturellement et pour ainsi dire toute prête. C’est précisément cela un instinct : quelque chose qui est compris avec l’organisme. Les êtres vivants sont organisés d’une façon qui permet à la vie, et finalement à la conscience, d’exister, même s’ils sont pourtant faits des mêmes matériaux que le monde naturel non vivant qui les entoure. Des bactéries aux êtres humains, les organismes sont enveloppés d’instincts. Quand on parle d’instincts, on pense généralement à l’instinct de survie, à l’instinct sexuel, à la résilience, à la marche. Mais certaines compétences plus complexes comme le langage ou la socialité n’en sont pas moins, elles aussi, des instincts. La liste est longue, et nous autres humains semblons avoir davantage d’instincts que les autres créatures. Il y a pourtant quelque chose qui distingue l’instinct de conscience de tous les autres. Ce n’est pas un instinct ordinaire. La conscience paraît en réalité si extraordinaire que beaucoup pensent que seuls les êtres humains peuvent s’en réclamer. Même si ce n’est pas le cas, nous désirons tous en savoir plus à son sujet. Et, parce que nous l’avons tous, nous pensons tous avoir une vision claire de ce que c’est. Comme nous le verrons, il s’agit d’un instinct complexe qui nous file entre les doigts, et qui se situe dans l’organe le plus impénétrable de l’univers, le cerveau.
Le mot « pomme » est un nom commun : il désigne un objet réel, un objet physique. Le mot « démocratie » est lui aussi un nom commun, mais qui désigne une réalité un peu plus difficile à circonscrire, un certain état des relations au sein d’une société. Il m’est facile de vous montrer une pomme, autrement dit la réalité physique de celle-ci ; mais il me serait difficile de vous montrer la réalité physique d’une démocratie. Qu’en est-il pour « instinct », encore un nom commun ? Ces trois mots représentent des réalités que l’on peut définir, qu’il s’agisse d’objets matériels ou de concepts, d’idées maniées par notre cerveau. Des instincts, nous en avons un grand nombre, mais où sont-ils localisés dans le cerveau ? Est-ce que certains d’entre eux se représentent mieux sous la forme de structures concrètes dans le cerveau, et d’autres sous celle du traitement de l’information effectué par ces structures ? Quelle est, de fait, la réalité physique d’un instinct ? Est-ce quelque chose de tangible, comme une pomme, ou insaisis