Jules Verne
AUTOUR DE LA LUNE
(1869)
Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits » Table des matières
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE Qui résume la première
partie de cet ouvrage, pour servir de préface à la seconde....4
I De dix heures vingt à dix heures quarante-sept minutes
du soir .....................................................................................10
II La première demi-heure....................................................18
III Où l’on s’installe................................................................35
IV Un peu d’algèbre...............................................................47
V Les froids de l’espace.......................................................... 61
VI Demandes et réponses ......................................................74
VII Un moment d’ivresse.......................................................85
VIII À soixante-dix-huit mille cent quatorze lieues..............97
IX Conséquences d’une déviation........................................109
X Les observateurs de la lune ..............................................117
XI Fantaisie et réalisme ...................................................... 123
XII Détails orographiques ..................................................130
XIII Paysages lunaires.........................................................141
XIV La nuit de trois cent cinquante-quatre heures et demie151
XV Hyperbole ou parabole164
XVI L’hémisphère méridional ............................................. 178
XVII Tycho...........................................................................185
XVIII Questions graves ....................................................... 195
– 2 – XIX Lutte contre l’impossible............................................. 206
XX Les sondages de la Susquehanna ................................. 220
XXI J. -T. Maston rappelé.................................................. 228
XXII Le sauvetage .............................................................. 238
XXIII Pour finir… ............................................................... 248
À propos de cette édition électronique.................................253
– 3 – CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
Qui résume la première partie de cet ouvrage, pour
servir de préface à la seconde
Pendant le cours de l’année 186., le monde entier fut
singulièrement ému par une tentative scientifique sans
précédents dans les annales de la science. Les membres du Gun-
Club, cercle d’artilleurs fondé à Baltimore après la guerre
d’Amérique, avaient eu l’idée de se mettre en communication
avec la Lune – oui, avec la Lune –, en lui envoyant un boulet.
Leur président Barbicane, le promoteur de l’entreprise, ayant
consulté à ce sujet les astronomes de l’Observatoire de
Cambridge, prit toutes les mesures nécessaires au succès de
cette extraordinaire entreprise, déclarée réalisable par la
majorité des gens compétents. Après avoir provoqué une
souscription publique qui produisit près de trente millions de
francs, il commença ses gigantesques travaux.
Suivant la note rédigée par les membres de l’Observatoire,
le canon destiné à lancer le projectile devait être établi dans un
pays situé entre 0 et 28 degrés de latitude nord ou sud, afin de
viser la Lune au zénith. Le boulet devait être animé d’une
ervitesse initiale de douze mille yards à la seconde. Lancé le 1
décembre, à onze heures moins treize minutes et vingt secondes
du soir, il devait rencontrer la Lune quatre jours après son
départ, le 5 décembre, à minuit précis, à l’instant même où elle
se trouverait dans son périgée, c’est-à-dire à sa distance la plus
rapprochée de la Terre, soit exactement quatre-vingt-six mille
quatre cent dix lieues.
Les principaux membres du Gun-Club, le président
Barbicane, le major Elphiston, le secrétaire J. -T. Maston et
autres savants tinrent plusieurs séances dans lesquelles furent
discutées la forme et la composition du boulet, la disposition et
la nature du canon, la qualité et la quantité de la poudre à
employer. Il fut décidé : 1° que le projectile serait un obus en
aluminium d’un diamètre de cent huit pouces et d’une épaisseur
de douze pouces à ses parois, qui pèserait dix-neuf mille deux
cent cinquante livres ; 2° que le canon serait une Columbiad en
fonte de fer longue de neuf cents pieds, qui serait coulée
directement dans le sol ; 3° que la charge emploierait quatre
cent mille livres de fulmi-coton qui, développant six milliards de
litres de gaz sous le projectile, l’emporteraient facilement vers
l’astre des nuits.
Ces questions résolues, le président Barbicane, aidé de
l’ingénieur Murchison, fit choix d’un emplacement situé dans la
Floride par 27° 7’de latitude nord et 5° 7’de longitude ouest. Ce
fut en cet endroit, qu’après des travaux merveilleux, la
Columbiad fut coulée avec un plein succès.
Les choses en étaient là, quand survint un incident qui
centupla l’intérêt attaché à cette grande entreprise.
Un Français, un Parisien fantaisiste, un artiste aussi
spirituel qu’audacieux, demanda à s’enfermer dans un boulet
afin d’atteindre la Lune et d’opérer une reconnaissance du
satellite terrestre. Cet intrépide aventurier se nommait Michel
Ardan. Il arriva en Amérique, fut reçu avec enthousiasme, tint
des meetings, se vit porter en triomphe, réconcilia le président
Barbicane avec son mortel ennemi le capitaine Nicholl et,
comme gage de réconciliation, il les décida à s’embarquer avec
lui dans le projectile.
La proposition fut acceptée. On modifia la forme du boulet.
Il devint cylindro-conique. On garnit cette espèce de wagon
– 5 – aérien de ressorts puissants et de cloisons brisantes qui
devaient amortir le contrecoup du départ. On le pourvut de
vivres pour un an, d’eau pour quelques mois, de gaz pour
quelques jours. Un appareil automatique fabriquait et
fournissait l’air nécessaire à la respiration des trois voyageurs.
En même temps, le Gun-Club faisait construire sur l’un des plus
hauts sommets des montagnes Rocheuses un gigantesque
télescope qui permettrait de suivre le projectile pendant son
trajet à travers l’espace. Tout était prêt.
Le 30 novembre, à l’heure fixée, au milieu d’un concours
extraordinaire de spectateurs, le départ eut lieu et pour la
première fois, trois êtres humains, quittant le globe terrestre,
s’élancèrent vers les espaces interplanétaires avec la presque
certitude d’arriver à leur but. Ces audacieux voyageurs, Michel
Ardan, le président Barbicane et le capitaine Nicholl, devaient
effectuer leur trajet en quatre-vingt dix-sept heures treize
minutes et vingt secondes. Conséquemment, leur arrivée à la
surface du disque lunaire ne pouvait avoir lieu que le 5
décembre, à minuit, au moment précis où la Lune serait pleine,
et non le 4, ainsi que l’avaient annoncé quelques journaux mal
informés.
Mais, circonstance inattendue, la détonation produite par la
Columbiad eut pour effet immédiat de troubler l’atmosphère
terrestre en y accumulant une énorme quantité de vapeurs.
Phénomène qui excita l’indignation générale, car la Lune fut
voilée pendant plusieurs nuits aux yeux de ses contemplateurs.
Le digne J. -T. Maston, le plus vaillant ami des trois
voyageurs, partit pour les montagnes Rocheuses, en compagnie
de l’honorable J. Belfast, directeur de l’Observatoire de
Cambridge, et il gagna la station de Long’s-Peak, où se dressait
le télescope qui rapprochait la Lune à deux lieues. L’honorable
secrétaire du Gun-Club voulait observer lui-même le véhicule de
ses audacieux amis.
– 6 –
L’accumulation des nuages dans l’atmosphère empêcha
toute observation pendant les 5,6, 7,8, 9 et 10 décembre. On
crut même que l’observation devrait être remise au 3 janvier de
l’année suivante, car la Lune, entrant dans son dernier quartier
le 11, ne présenterait plus alors qu’une portion décroissante de
son disque, insuffisante pour permettre d’y suivre la trace du
projectile.
Mais enfin, à la satisfaction générale, une forte tempête
nettoya l’atmosphère dans la nuit du 11 au 12 décembre, et la
Lune, à demi éclairée, se découpa nettement sur le fond noir du
ciel.
Cette nuit même, un télégramme était envoyé de la station
de Long’s-Peak par J. -T. Maston et Belfast à MM. les membres
du bureau de l’Observatoire de Cambridge.
Or, qu’annonçait ce télégramme ?
Il annonçait : que le 11 décembre, à huit heures quarante-
sept du soir, le projectile lancé par la Columbiad de Stone’s-Hill
avait été aperçu par MM. Belfast et J. -T. Maston, – que le
boulet, dévié pour une cause ignorée, n’avait point atteint son
but, mais qu’il en était passé assez près pour être retenu par
l’attraction lunaire, – que son mouvement rectiligne s’était
changé en un mouvement circulaire, et qu’alors, entraîné
suivant un orbe elliptique autour de l’astre des nuits, il en était
devenu le satellite.
Le télégramme ajoutait que les éléments de ce nouvel astre
n’avaient pu être encore calculés ; – et en effet, trois
observations prenant l’astre dans trois positions différentes,
sont nécessaires pour déterminer ces éléments. Puis, il indiquait
que la distance séparant le projectile de la surface lunaire
– 7 – « pouvait » être évaluée à deux mille huit cent trente-trois
milles environ, soit quatre mille cinq cents lieues.
Il terminait enfin en émettant cette double hypothèse : Ou
l’attraction de la Lune finirait par l’emporter, et les voyageurs
atteindraient leur but ; ou le projectile, maintenu dans un orbe
immutable, graviterait autour du disque lunaire jusqu’à la fin
des siècles.
Dans ces diverses alternatives, quel serait le sort des
voyageurs ? Ils avaient des vivres pour quelque temps, c’est vrai.
Mais en supposant même le succès de leur téméraire entreprise,
comment reviendraient-ils ? Pourraient-ils jamais revenir ?
Aurait-on de leurs nouvelles ? Ces questions, débattues par les
plumes les plus sava