Dans les années 1990 et 2000, de nombreux travaux ont mis en évidence l'impact négatif, sur l'emploi des salariés âgés, des changements techniques et organisationnels opérés par les entreprises. Cet effet défavorable du changement a été attribué à un défaut d'adaptabilité des seniors aux technologies informatiques, conduisant à dévaloriser les compétences acquises au cours de la carrière. De plus, la formation à la maîtrise de ces nouvelles techniques est souvent considérée comme moins efficace et moins rentable lorsqu'elle bénéficie à des seniors plutôt qu'à des salariés plus jeunes. Cette question de la capacité des salariés âgés à s'adapter aux outils informatiques est actualisée ici à partir de l'enquête Changement organisationnel et informatisation (COI) de 2006, dont le champ est étendu aux activités administratives de l'État. À la différence des entreprises, la fonction publique de l'État maintient en emploi l'ensemble de ses agents titulaires, quelle que soit leur capacité supposée d'adaptation aux changements. Si les salariés âgés étaient, en général, peu adaptables aux outils informatiques, leur usage de ces outils devrait décliner avec l'âge, au sein de la fonction publique de l'État plus encore que dans les secteurs marchands. Les résultats empiriques montrent au contraire que l'usage de l'informatique se maintient après 50 ans dans la fonction publique alors qu'il décline avec l'âge dans le privé. L'État forme en effet ses agents à l'informatique plus souvent et plus longuement que le secteur privé, ces formations bénéficiant, au cours de leur carrière, à une majorité de seniors. L'entraide entre collègues apparaît également favorable à l'accès des plus âgés aux outils technologiques récents. Lorsque l'activité le requiert et que l'organisation le prévoit, les salariés âgés de plus de 50 ans peuvent donc s'adapter aux nouveaux outils informatiques.
Les salarés de plus de 50 ans et lnformatque : une comparason publc-prvé Danèle Gullemot* et Auréle Peyrn**
Dans les années 1990 et 2000, de nombreux travaux ont mis en évidence limpact néga-tif,surlemploidessalariésâgés,deschangementstechniquesetorganisationnelsopéréspar les entreprises. Cet effet défavorable du changement a été attribué notamment à un défautdadaptabilitédesseniorsauxtechnologiesinformatiques,conduisantàdévalori-ser les compétences acquises au cours de la carrière. De plus, la formation à la maîtrise de ces nouvelles techniques est souvent considérée comme moins efficace et moins ren -table lorsqu’elle bénéficie à des seniors plutôt qu’à des salariés plus jeunes. Cette ques -tion de la capacité des salariés âgés à sadapter aux outils informatiques est actualisée ici à partir de lenquête Changement organisationnel et informatisation ( COI ) de 2006, dontlechampestétenduauxactivitésadministrativesdelÉtat.Àladifférencedesentreprises,lafonctionpubliquedelÉtatmaintientenemploilensembledesesagentstitulaires,quellequesoitleurcapacitésupposéedadaptationauxchangements.Silessalariés âgés étaient, en général, peu adaptables aux outils informatiques, lusage de ces outilsdevraitdéclineraveclâge,auseindelafonctionpubliquedelÉtatplusencoreque dans les secteurs marchands. Les résultats empiriques montrent au contraire que lusage de linformatique se maintient après 50 ans dans la fonction publique alors quil déclineaveclâgedansleprivé.LÉtatformeeneffetsesagentsàlinformatiqueplussouvent et plus longuement que le secteur privé, ces formations bénéficiant, au cours de leur carrière, à une majorité de seniors. L’entraide entre collègues apparaît également favorableàlaccèsdesplusâgésauxoutilstechnologiquesrécents.Lorsquelactivitélerequiertetquelorganisationleprévoit,lessalariésâgésdeplusde50anspeuventdoncsadapter aux nouveaux outils informatiques.
* Danile Guillemot est administrateur de l’Insee, affilie au Cr est-Laboratoire de sociologie quantitative. ** Aurlie Peyrin est chercheuse associe au Centre Maurice Halbwachs (EHESS-ENS-CNRS-Universit de Caen-Basse Normandie).
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des outils, qui distingue les salariés entre eux. Lamiseàlécartdesseniors(oudeceuxdentreeux qui seraient les moins adaptables aux nou-velles technologies) par les employeurs pourrait doncenthéoriepersister,quellesetraduiseparlévincementdelemploioubienlaffectationà des postes ne nécessitant quune utilisation banale de linformatique. 1 LenquêteChangement organisationnel et informatisation ( COI ) de 2006 (cf. encadré 1) apporte des éclairages nouveaux sur ces ques-tions. Sur le champ des salariés des entreprises dau moins 20 salariés des secteurs marchands et sur celui des agents de la fonction publique de lÉtat (2) 2 (hors enseignants, militaires et magistrats),lenquêteapportedenombreusesinformations sur lusage de linformatique, de la saisie sur terminal mono-tâche aux pratiques nomades ou collaboratives et à la dématériali-sation des procédures, mais aussi sur certaines dimensions du travail qui peuvent en permettre la maîtrise, comme la formation aux outils ou lentraideentresalariés.Deplus,lélargisse-ment du champ de lenquête à la fonction publi-que de lÉtat permet de renouveler les regis-tres interprétatifs habituels. Dans la fonction publiquedelÉtat,lestatutprotègeeneffetlesagents des licenciements quels que soient leur âgeetleurcapacitésupposéedadaptationauxchangements (3) 3 ; la proportion de salariés âgés yestdailleursplusélevéequedanslesautressecteurs.Lagestiondelamain-duvredanslafonction publique de lÉtat présente des carac -téristiques propres au modèle du marché interne (BehagheletGautié,2006),oùlaccumulationd’un capital humain spécifique, via la forma-tion interne, joue un rôle central. Au sein de ces formes institutionnelles, les relations de long terme entre les salariés et leur employeur sont privilégiées,etdecefait,lanciennetémoyenneest élevée. Mais les nouvelles technologies ten-draient à dévaloriser le capital humain spécifi -1. Notamment les enqutes Changement organisationnel et informatisation (COI) 1997 et Relations professionnelles et Négociationsdentreprise(REPONSE) 1998. 2. Par commodit, nous utilisons par la suite les termes de « public » pour dsigner la fonction publique de l’État d’une part, et « priv » ou « entreprises » les entreprises des secteurs mar-chands (dans lesquels des entreprises de statut public, comme la Poste ou la SNCF sont classes) d’autre part. 3. L’ge de la retraite est cependant plus prcoce dans certains mtiers de la fonction publique lis la scurit comme les poli-ciers ou le personnel pnitentiaire, mais ces sorties prcoces de l’emploi ne sont pas dues une slection opre par l’em-ployeur. L’utilisation de l’informatique est moins rpandue dans ces mtiers qu’ailleurs, ce qui peut contribuer relever le taux d’utilisation moyen des plus de 50 ans. La problmatique de l’ar-ticle n’est cependant pas affecte par ce phnomne.
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À 1p9a breux travaux ont établi lexistence dun « biais technologique » défavorisant les salariés les plusâgéslorsquelesentreprisessinformati-sent.Deuxmécanismesdesélectionparlâgesadditionnent. Dune part, les salariés âgés (mais aussi les salariés très jeunes) sont rela -tivement peu nombreux dans les entreprises les mieux équipées en informatique de pointe, soitquecesentreprisesseséparentdunepar-tie de leurs seniors, soit quune structure de la main-duvre concentrée sur les âges intermé -diaires favorise la modernisation technologique (Ananian et Aubert, 2006 ; Aubert et al. , 2006 ; Diaye et al. ,2006).Dautrepart,lesentrepri-ses sélectionnent parmi leurs salariés ceux qui accèdent aux outils informatiques (Gollac et al. , 2000 ; Moatty, 1993 ; Friedberg, 2003 ; Hamon-Cholet et Vinck, 2004) : si les seniors qui res-tent en emploi sont a priori , du point de vue des employeurs, plus adaptables aux changements technologiques que ceux qui ont été évincés, leur poste de travail est cependant moins fré-quemment informatisé que celui des salariés plus jeunes. Cette sélection s’appuierait sur des représentations sociales courantes concernant lobsolescence des acquis de lexpérience des seniors et leurs difficultés d’apprentissage à de nouveaux outils (Minni et Topiol, 2003), alors que les plus jeunes sont déjà formés à l’informa -tique. Les salariés les plus âgés ont également moins accès à la formation, cet investissement pouvant ne pas apparaître rentable au regard du nombredannéesavantleurdépartenretraitedu point de vue de lemployeur comme de celui de lemployé. Le moindre accès des seniors à linformatique, mesuré dans les années 1990, pourrait cepen-dantnavoirétéquunphénomènetransitoire.Constatant une nette baisse des taux dutilisation après45ansàpartirdelenquêteTechniques et organisation du travail ( TOTTO ) 1991, Moatty (1993)aémislhypothèseduneffetdegénéra-tion qui frapperait les salariés en deuxième par-tie de carrière, au moment de lintroduction des ordinateurs dans les entreprises. Or, cette géné-ration est aujourd’hui majoritairement retrai -tée, et on peut penser que les seniors les plus en difficulté face à l’outil informatique (s’ils ne sont pas encore retraités) font partie de ceux qui, chômeurs, préretraités ou en invalidité, sont écartés du marché du travail. Les distinctions entre salariés peuvent cependant être renouve-lées avec larrivée de nouveaux outils (Gollac et Kramarz, 2000) : plutôt que le simple accès auxordinateurs,cestsansdoutedésormais