Revue internationale de droit comparé - Année 2006 - Volume 58 - Numéro 1 - Pages 153-183 The US Supreme Court decision in Ex parte Quirin (1942), known as the Nazi saboteurs’ case, is frequently invoked as «the most apt precedent» to justify President George W. Bush’s November 13, 2001 military order, which authorizes the creation of military tribunals to try non-U. S. citizens who may be suspected of terrorist activities. Although the case provides some language that could indeed be used in support of the President’s military order, it appears a much less attractive precedent when the underpinnings of the Court’s decision are fully explored and subject to closer scrutiny. The present article examines in detail the reach of the Court’s decision in Quirin, and the validity of this case as an appropriate precedent for the resort to military tribunals in the United States. Ex parte Quirin, arrêt de la Cour Suprême relatif au jugement de huit saboteurs nazis en 1942, est fréquemment cité à l’appui du décret militaire édicté par le Président Bush le 13 novembre 2001, et autorisant le jugement devant des commissions militaires de personnes soupçonnées de participation à des actions terroristes ou de soutien à de telles actions. Bien qu’à première vue cette décision de la Cour Suprême -invoquée comme le précédent le plus «approprié» (most apt example) -semble soutenir le décret du Président Bush, ce précédent juridique se révèle bien moins «approprié» lorsqu’il est soumis à une attention plus soutenue. Le présent article étudie les prononcés de la Haute Juridiction dans l’affaire Quirin et les soubassements juridiques qui la sous-tendent, avant d’examiner le caractère approprié de cet arrêt comme précédent justifiant le recours aux commissions militaires d’exception aux États-Unis. 31 pages Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.
LES TRIBUNAUX MILITAIRES DEXCEPTION AUX ÉTATS-UNIS ET LA CONSTITUTION LE PRÉCÉDENT « LE PLUS APPROPRIÉ» ?∗Nada MOURTADA-SABBAH∗∗Ex parte Quirin, arrêt de la Cour Suprême relatif au jugement de huit saboteurs nazis en 1942, est fréquemment cité à lappui du décret militaire édicté par le Président Bush le 13 novembre 2001, et autorisant le jugement devant des commissions militaires de personnes soupçonnées de participation à des actions terroristes ou de soutien à de telles actions. Bien quà première vue cette décision de la Cour Suprême - invoquée comme le précédent le plus « approprié » (most apt example) - semble soutenir le décret du Président Bush, ce précédent juridique se révèle bien moins « approprié » lorsquil est soumis à une attention plus soutenue. Le présent article étudie les prononcés de la Haute Juridiction dans laffaireQuirin les soubassements juridiques qui la sous-tendent, et avant dexaminer le caractère approprié de cet arrêt comme précédent justifiant le recours aux commissions militaires dexception aux États-Unis. The US Supreme Court decision inEx parte Quirin (1942), known as the Nazi saboteurs case, is frequently invoked as « the most apt precedent » to justify President George W. Bushs November 13, 2001 military order, which authorizes the creation of ∗Allusion est faite au commentaire de lAttorneyGeneralWilliam P. Barr et de lAssistantto theAttorney GeneralAndrew G. McBride selon lequel laffaireEx parte Quirinoffre le précédent le plus approprié au décret du Président Bush autorisant le recours à des commission militaires : «Since the Revolutionary War this country has used military tribunals to try foreign nationals for offenses committed during armed hostilities The most apt precedent is the case of the eight Nazi saboteurs». William P. BARR et Andrew G. MCBRIDE, « Military Justice for al Qaeda »,The Washington Post, 18 nov. 2001. ∗∗Docteur en droit public de lUniversité de Paris II, Professeur associé de science politique et directeur du département de relations internationales à lUniversité américaine de Sharjah ; Faculty Fellow au Department of Government, School of Public Affairs à lUniversité américaine de Washington, D.C. ; Professeur invitée à lUniversité de Paris II au titre de lannée universitaire 2005.
154 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2006
military tribunals to try non-U.S. citizens who may be suspected of terrorist activities. Although the case provides some language that could indeed be used in support of the Presidents military order, it appears a much less attractive precedent when the underpinnings of the Courts decision are fully explored and subject to closer scrutiny. The present article examines in detail the reach of the Courts decision inQuirin, and the validity of this case as an appropriate precedent for the resort to military tribunals in the United States.
INTRODUCTION Le 13 novembre 2001, le Président George W. Bush a édicté un décret militaire permettant le jugement devant des commissions militaires de personnes soupçonnées de participation à des actions terroristes ou de soutien à de telles actions1Emis à la suite des attentats perpétrés aux États-. Unis contre le World Trade Center et le Pentagone, le décret devait provoquer un tollé dans le pays, et susciter une vive polémique qui na cessé 2 de faire couler de lencre . À lappui de lordre militaire, lAttorneyGeneralJohn Ashcroft cita un arrêt de la Cour Suprême relatif au jugement de huit saboteurs nazis en 19423comme étant le précédent le plus « approprié » (, most apt example)4. Le même précédent fut également invoqué par le Président George W. Bush lui-même, à lappui de son décret militaire du 13 novembre5. Il importe, en effet, de mentionner que le dit décret est rédigé en des termes particulièrement évocateurs de celui de Franklin D. Roosevelt en 19426.Quels fondements le précédent historiqueEx parte Quirin - devenu particulièrement célèbre aux États-Unis depuis ladoption du décret militaire du 13 novembre - offre-t-il pour justifier la décision du Président 1ne sapplique pas aux citoyens américains. V. « Detention, Treatment and militaire Lordre Trial of Certain Non-Citizens in the War Against Terrorism », Order Military, 13 nov., 2001, 66 Fed. Reg. 57, 833 (16 nov. 2001). 2V. Nada MOURTADA-SABBAH, « Tribunaux Militaires aux États-Unis: Inter Arma SilentLege ? »,Annuaire Français de Relations Internationales, vol. 4, 2003. 3Ex parte Quirin, 317 U.S. 1 (1942). 4LexAttorney GeneralBarr se réfère àEx parte Quirincomme étant lexemple le plus récent et le plus approprié pour létablissement de tribunaux militaires aux États-Unis. « DOJ Oversight: Preserving Our Freedoms While Defending Against Terrorism, »Testimony of the HonorableWilliam P. Barr, Former Attorney General of the United States, 28 nov. 2001. 5 Mike ALLEN, « Bush Defends Order for Military Tribunals »,Washington Post, 20 nov. 2001, A14. « Je souhaiterais rappeler à ceux dentre vous qui ne comprennent pas la décision que jai prise, que Franklin Roosevelt a pris la même décision au cours de la seconde guerre mondiale. Nous sommes là en présence de temps extraordinaires ». 6 V. Proclamation No. 2561, 2 juill. 1942, 7 Fed. Reg. 5101 (1942) etMilitary Order, «Appointment of a Military Commission », 2 juill. 1942, 7 Fed. Reg. 5103 (1942).
N. MOURTADA-SABBAH : TRIBUNAUX MILITAIRES DEXCEPTION 155
Bush détablir des tribunaux militaires ? Quels furent les prononcés de la haute juridiction à ce sujet ? Vivement critiquée par certains commentateurs, la décision de la haute juridiction dansEx parte Quirinfut considérée parJusticeFrankfurter - qui pourtant y prit part lui-même - comme nétant pas un précédent particulièrement heureux7. La Cour rendit certes dans cette affaire une décision unanime8. Cependant, lunanimité de la Cour fut acquise sur un fond de controverses juridiques, de négociations qui durèrent près dun mois, et de vive polémique entre les différents membres de la haute juridiction9. Aussi, Daniel Danelski parle-t-il daccusation « conçue de façon à obtenir la peine de mort, defforts désespérés pour justifier un fait accompli, de négociations, de compromis, et même dappel au patriotisme [des membres de la Cour Suprême] dans un effort visant à obtenir une décision unanime »10 la version Sous-tendant la haute juridiction : « de officielle de laffaire, on découvre une histoire fascinante dintrigue, de trahison et de propagande »11. De même, Louis Fisher fait remarquer que le précédent que présente laffaireExparteQuirinest « loin dêtre approprié, bien quà première vue, la décision de la Cour Suprême dans cette affaire semble soutenir le décret du Président BushLorsquon lexamine de plus près, ce précédent juridique se révèle bien moins attirant quil ne paraît »12.La juridiction des tribunaux militaires aux États-Unis fait lobjet de controverses depuis les premiers jours de la Révolution13. LarrêtEx parteQuirin- décision de la plus haute juridiction des Etats-Unis -, revêt donc à cet égardun intérêt particulier. Afin de connaître de laffaire des saboteurs nazis, la Cour Suprême se réunit en séance extraordinaire - la première en 14 vingt-deux ans . 7 par Louis FISHER, « Cité Tribunals: A Sorry Story Military »Presidential Studies Quarterly, sept. 2003, p. 494. 8 Les juges de la Cour Suprême qui participèrent à la décision furent :Chief Justice Harlan Fiske Stone,Justice J. Roberts, OwenJustice L. Black, HugoJustice Stanley Reed,Justice Felix Frankfurter,Justice H. Jackson, RobertJustice F. Byrnes, et JamesJustice William O. Douglas. Justice FranckMurphy se récusa du fait de ses fonctions en tant que Lieutenant Colonel dans larmée. 9V. Daniel J. DANELSKI, « The Saboteurs Case »,Journalof Supreme Court History, 1996, vol. 1, pp. 63-64. 1 0Eod. loc., p. 61 et pp. 63-64. 11V. Daniel J. DANELSKI, « The Saboteurs Case »,loc. cit.,p. 61. 12Louis FISHER, « Military Tribunal; Bush Cant Rely on the FDR Precedent; Bushs Order Targets a Larger Group -Noncitizens in the U.S.- han Roosevelts »,TheLos AngelesTimes, 2 déc. 2001. 13SCHILLING, « Saboteurs and the Jurisdiction of Military Commissions »,V. George T. 41 Mich. L. Rev., 481 (déc. 1942). 14en effet la première fois depuis le 13 avril 1920Cétait que la Haute Juridiction interrompait sonSummer recesspour connaître dune affaire. V. Alpheus T. MASON, « Inter Arma Silent Leges: Chief Justice Stones Views », 69Harv. L. Rev.(1956), p. 815.