D u rapport d’un troupeau, dont il vivoit ſans ſoins Se contenta long-temps un voiſin d’Amphitrite. Si ſa fortune eſtoit petite, Elle eſtoit ſeure tout au moins.
A la fin les treſors déchargéz ſur la plage, Le tenterent ſi bien qu’il vendit ſon troupeau, Trafiqua de l’argent, le mit entier ſur l’eau ; Cetargent perit par naufrage. Son maiſtre fut réduit à garder les Brebis ; Non plus Berger en chef comme il eſtoit jadis, Quand ſes propres Moutons paiſſoient ſur le rivage ; Celuy qui s’eſtoit veu Coridon ou Tircis, FutPierrot & rien davantage. Au bout de quelque temps il fit quelques profits ; Rachetades beſtes à laine ; Et comme un jour les vents retenant leur haleine, Laiſſoient paiſiblement aborder les vaiſſeaux ; Vous voulez de l’argent, ô Meſdames les Eaux, Dit-il, adreſſez-vous, je vous prie, à quelqu’autre : Mafoy vous n’aurez pas le noſtre.
Cecy n’eſt pas un conte à plaiſir inventé. Jeme ſers de la verité Pourmontrer par experience, Qu’unſou quand il eſt aſſuré, Vautmieux que cinq en eſperance : Qu’il ſe faut contenter de ſa condition ; Qu’aux conſeils de la Mer & de l’Ambition Nousdevons fermer les oreilles. Pour un qui s’en louera, dix mille s’en plaindront. LaMer promet monts & merveilles ; Fiez-vous-y, les vents & les voleurs viendront.
II. Le Berger & la Mer.
Fables de La Fontaine: Barbin & Thierry | Georges Couton