Au Sénégal, les acteurs dits “religieux”, Khalifes généraux et marabouts jouent un rôle de premier ordre dans la politique autant locale que nationale. Quelle est la nature des imbrications entre pouvoir politique et pouvoir religieux ? Jusqu’où les jeux d’influence vont-ils ? Qui sont les vrais dirigeants du pays ? Cette étude tente d’approfondir la question et de saisir les liens qui lient intimement ces deux sphères d’influence au Sénégal et dans son évolution historique.
Sénégal
Pouvoir politique
/ Pouvoir
religieux
Intérêts croisés ?
A v r i l 2 0 0 8 Lara Girard
D akar
Au Sénégal, les acteurs dits “religieux”, Khalifes
généraux et marabouts jouent un rôle de
premier ordre dans la politique autant locale que
nationale.
Quelle est la nature des imbrications entre
pouvoir politique et pouvoir religieux ? Jusqu’où
les jeux d’influence vont-ils ? Qui sont les vrais
dirigeants du pays ?
Cette étude tente d’approfondir la question et de
saisir les liens qui lient intimement ces deux
sphères d’influence au Sénégal dans son
évolution historique.
p.3 I. Introduction……………………………………………………….
p.4 II. Les confréries au Sénégal…………………………………………
2.1 La confrérie Tidjane…………………………………………………............ p.6
El-Hadij Malick Sy…………………………………………………………… p.7
2.2 La confrérie Mouride……………………………………………………… p.7
Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké………………………………………… p.8
Doctrine du Mouridisme……………………………………………… …… p.8
Cheikh Ibrahima Fall et le mouvement Baye-Fall ……………………… p.10
2.3 La confrérie Qaddriya……………………………………………………… p.11
2.4 La confrérie Layène………………………………………………………… p.11
III. Historique des intérêts croisés du pouvoir maraboutique et du
p.12 pouvoir politique…………………………………………………………
3.1 Sous le colonialisme………………………………………………………… p.12
3.2 Léopold Sédar Senghor et l’Indépendance………………………………… p.13
3.3 Les années 1980 et la fin de la culture de l’arachide……… ……………… p.14
p.17 IV. Abdoulaye Wade ou la fin de l’obéissance au N’diguel…...............
V. M. Abdoulaye Wade, le président talibé et la montée en puissance
p.19 de Touba……………………………………………………………….
p.20 VI. Conclusion………………………………………………………….
p.22 Glossaire…………………………………………………………………
p.23 Bibliographie…………
2
I. Introduction
Après seulement quelques jours au Sénégal, en feuilletant les journaux ou en suivant
l’actualité à la radio ou s ur la télévision sénégalaise, j’ai été interpellée par la place accordée
aux acteurs religieux, plus particulièrement les Khalifes généraux et marabouts qui me sont
apparus d’emblée comme jouant un rôle essentiel dans la société sénégalaise. Mais qui
sont-ils ? Quels sont exactement leur rôle et leur poids ? Quand et où interviennent-ils ?
Sont-ils impliqués dans la vie politique du pays et si oui, comment ? Sont-ils instrumentalisés
ou utilisent-ils pour eux le pouvoir politique et le gouvernement ?
Toutes ces questions et bien d’autres sont à l’origine de ce travail qui cherche à entrer dans
les jeux d’influences réciproques entre ce que nous avons défini comme les acteurs d’un
« pouvoir religieux » et ceux d’un « pouvoir politique ». Mon travail tend dès lors à mieux
saisir les domaines d’influences des uns et des autres, en essayant tant que possible de
m’éloigner des catégories occidentales qui définissent le pouvoir religieux et le pouvoir
politique comme deux entités distinctes, la première s’occupant exclusivement du pouvoir
spirituel, et la deuxième du pouvoir temporel et mondain.
Pour ce travail, j’ai essayé au Sénégal de saisir le cadre dans lequel s’inscrit , ceux qui
détiennent le « pouvoir religieux » et ceux qui détiennent le « pouvoir politique ». Loin de moi
l’idée d’avoir pu tout saisir dans ces mécanismes déjà complexes pour les S énégalais, mais
1si différent des cadres conceptuels de l’Occident qu’il en devient presque impossible , pour
l’Européenne que je suis, d’en saisir toutes les nuances et les finalités en si peu de temps.
Ce travail sera donc le reflet de ma compréhension à ce jour des rapports entre ces deux
entités, après trois mois de recherches et de discussions avec différents interlocuteurs
sénégalais que je remercie au passage pour m’avoir apporté tant de renseignements si
précieux et si difficiles à trouver par les biais académiques.
Ma première constatation fut de remarquer que ceux qui détiennent le pouvoir religieux de
l’Islam au Sénégal ne sont pas que les gardiens d’une spiritualité. Leur rôle est bien plus
important et bien plus large. Ils sont la sécurité sociale pour beaucoup de leurs disciples et
gardiens d’un pouvoir temporel qui leur a été enlevé en Europe. Ils sont également des
acteurs économiques incontournables du pays Ils ont une influence certaine dans le monde
politique. Il s’agira donc pour moi d’essayer d’esquisser une ima ge de leur rôle et de leur
influence, plus particulièrement dans la politique, mais également sur la société sénégalaise
en général.
Bien évidemment, les rapports qui lient les grands marabouts du pays au pouvoir politique
ont beaucoup évolués et se différencient selon les confréries et les idéologies qui les
soutiennent. Pour dresser une image globale de cette évolution, je vais donc passer en
revue quatre périodes qui m’ont paru clés pour celle -ci: l’époque coloniale française,
l’Indépendance et Léopold Sédar Senghor, les années quatre-vingt et la fin de la
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Par Occident, j’entends principalement les p ays d’Europe. Les Etats-Unis, bien qu’ils soient proches
de nous sur beaucoup de sujets et partagent avec une certaine « occidentalité », ont un rapport à la
religion et à ses acteurs très différent des Européens. Chez eux, les instances religieuses ont une
influence certaine dans le jeu politique, alors qu’en Europe nous les avons confiné es à la sphère
strictement privée.
3 monoculture de l’arachide, et finalement l’élection de l’actuel président Maître Abdoulaye
Wade. Chacune de ses époques est très spécifique et contient des tournants qui nous
permettrons d’approfondir notre connaissance de la société sénégalaise et de son
fonctionnement.
Avant cette analyse chronologique, il m’a paru essentiel de m’arrêter pour dire quelques
mots de l’Islam pratiqué au Sénégal, l’Islam soufi et des quatre confréries qui le forme nt et le
modulent. Cette description ne sera pas exhaustive et ne rentrera pas dans tous les détails
de la pratique complexe de l’Islam au Sénégal. J’essaierai plutôt de dégager et de saisir les
spécificités de chaque confrérie, ainsi que les liens qui attachent les adeptes d’une confrérie
à leur marabout et à leur Khalife.
Un mot finalement s’impose pour expliquer pourquoi ce travail ne comprendra pas de partie
sur les rapports entre le pouvoir religieux chrétien avec le gouvernement sénégalais. Il y a eu
deux raisons principales à mon choix : premièrement un manque de temps pour mener cette
recherche et de ressources et de compréhension des influences chrétiennes sur le pouvoir
politique et la société sénégalaise. Deuxièmement, la faible implication dans le domaine
politique des chefs religieux chrétiens qui sont beaucoup plus distants face au pouvoir
politique et qui ont des rapports qui se rapprochent plus de ceux de leurs confrères
européens. Ils sont les gardiens de la spiritualité et de la foi et ne s’occupe nt que très
2rarement des affaires politiques, contrairement à leurs confrères musulmans.
II. Les confréries du Sénégal
Avant d’entrer dans une description plus approfondie des quatre principales confréries
présentes au Sénégal, il me semble opportun de dire quelques mots sur l’Islam du Sénégal,
3à savoir l’Islam soufi. Sans entrer dans les détails de ce courant particulièrement complexe
et intéressant, nous pouvons définir le soufisme comme la branche mystique et spirituelle de
l’Islam. En réalité, les souf is peuvent être rattachés à diverses écoles et tendances
islamiques, autant sunnites que chiites, mais ils se distinguent par leur penchant pour un
Islam plus « intériorisé », le but étant la recherche de Dieu jusqu’à se noyer dans son Amour.
« Le soufi est amoureux de Dieu (Haqq) et pour
prouver son amour, comme les amoureux figuratifs, il est continuellement occupé
4par le souvenir de son Bien Aimé qui est Dieu. »
Les soufis peuvent être très droits dans la théorie et dans leurs dogmes, mais leur pratique
est bien particulière et peut prendre diverses formes : méditations, invocations des noms de
Dieu, prières. L’Islam soufi comporte souvent des aspects ésotériques, à savoir des
pratiques secrètes, des rites d’initiations, eux aussi variables selon le maît re. La recherche
de Dieu se fait par degré et le disciple peut avancer petit à petit, par différents rites
d’initiations guidés par le maître, toujours plus en profondeur dans le sens caché des rites
pour pénétrer finalement derrière l’apparence des choses. Il s’agit notamment d’atteindre un
2
Une seule fois, en 2000, le Cardinal du Sénégal, Monseigneur Hyacinthe Thiandoum avait appelé
Moustapha Niasse à se présenter comme candidat aux élections. Son appel avait scandalisé les
communautés chrétiennes qui ne voyaient pas d’un bon œil que leur chef spirituel se mêle de
politique.
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Cette partie m’a été inspirée par l’article de Michel Malherbes, Les religions de l’Humanité, p. 192-
194, Ed. Critérion
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Citation du site web “le journal soufi” http://www.journalsoufi.com/
4 niveau supérieur de conscience par l’élévation de l’esprit dans la contemplation des choses
divines et par le détachement de la personne aux objets sensibles.
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Le « maître » soufi, ou le marabout* comme il est appelé au Sénégal, est l’un des piliers
essentiels du soufisme. Dès lors, l’Islam soufi n’a aucune unité forte. Chaque maître se
constitue une cohorte de disciples attirés par la réputation de son enseignement, les
événements remarquables de sa vie et son charisme de saint homme. Il fonde ainsi une
voie* so